
Comme me le disait encore récemment un ancien candidat à la Mairie de Paris, Internet est un outil merveilleux qui nous permet de faire de belles rencontres.

Moi, par exemple, j’ai sympathisé sur Instagram avec la Noueuse d’aiguilles, qui est une couturière chevronnée, une amatrice de Burda et une fille très sympa (une fille genre moi, quoi). N’étant pas géographiquement trop éloignées, c’est assez naturellement que nous est venue l’idée, au bout de quelques temps, « d’aller boire un café ». En code de couturières, aucune cafetière n’est impliquée : ça veut dire « aller acheter du tissu ensemble ».
Lors de cette virée chez Bennytex à Bobigny (gros entrepôt, petits prix : un pur lieu de perdition pour la couturière au cœur faible), je n’ai pu me soustraire à l’acquisition d’un coton à tartan tricolore immédiatement visualisé en chemise d’esprit boyish.

Boyish, ça veut dire qu’au lieu de piquer une chemise à ton jules, tu en couds une qui fait genre « j’ai piqué une chemise à mon jules ». Comme ça, il ne t’engueule plus de laisser des traces de fond de teint sur le col, tu ne lui jettes plus au visage qu’il était moins regardant quand c’était son ex si tu en crois les photos que cette morue a publiées avec lui sur Facebook, il ne te hurle plus qu’il en a marre de ta jalousie mal placée, tu ne le traites plus de connard sans cœur et que de toute façon tu sais très bien que sa mère n’a jamais pu te blairer et qu’il n’a jamais pris ta défense une seule fois devant elle, il ne te dit plus d’arrêter avec sa mère putain !
Bref, c’est la paix des ménages.
Le modèle 114 du Burda d’avril 2010 cochait les cases de cette chemise un peu masculine à laquelle j’aspirais : une ligne peu appuyée à la taille (mais pas totalement droite pour y faire rentrer mes hanches pas boyish), un empiècement aux épaules, un col et des poignets classiques.
Et une parementure à même, car la vie est trop courte pour la passer à faire des raccords de carreaux.
Parementure à quoi ?… Allez hop, pouf, dans mon infinie mansuétude j’improvise un petit cours de décryptage de dessin technique pour celzéceu qui trouvent ça ésotérique. La parementure est une pièce que l’on coud le long d’un bord, pour lui donner une finition propre. Celle dont je parle ici vient finir le bord, au milieu des devants (la partie où se trouvent boutons et boutonnières). Sur le dessin ci-dessus, on peut savoir qu’elle est « à même » (= dessinée et coupée en une seule pièce avec le devant) grâce aux petits pointillés qui marquent son emplacement tout en insinuant la continuité avec le devant. Alors qu’une parementure « rapportée » (= coupée à part, et cousue ensuite) est symbolisée par une franche ligne continue, comme sur le modèle ci-dessous avec lequel j’ai hésité (Burda, septembre 2009) :

Les sous-entendus d’une ligne de pointillés : n’est-ce pas d’une grande poésie ?!! Moi, j’adore les dessins techniques et ceux de Burda sont très bien faits. C’est peut-être moins glamour que la photo de la gonzesse sur fond de mer des Caraïbes avec son chapeau violet, mais ça parle beaucoup mieux du vêtement qu’on va coudre.
Les empiècements, les poches et les poignets sont coupés dans le biais et non dans le droit-fil, pour amener du contraste dans tout ce carrelage. Une stimulant petite gymnastique mentale a, de ce fait, été nécessaire pour tout faire tenir dans mon coupon de 1m60.



L’ourlet est arrondi façon liquette, ce qui est un peu moins masculin – mais entre la chemise, ma longueur de cheveux et ma tronche très fatiguée de ce lundi matin, il fallait bien conserver un petit quelque chose qui rappelle vaguement mon appartenance à la team chromosomique XX.

Les chemises font partie des pièces que je préfère coudre. Je me suis régalée avec celle-ci, bouclée en trois jours – comme l’indique l’expression de joie intense sur mon visage ci-dessous. Je ne sais pas chez vous, mais moi ça se vérifie tous les mois : nuit de pleine lune = tronche de cake le lendemain.

J’ose avouer qu’en femme de peu de volonté, j’ai acheté un autre coupon de tissu à carreaux le même jour – et femme de peu d’imagination, je le destine à finir dans le même modèle, car ce patron est un excellent basique. Le vêtement est validé au portage, déjà deux fois la semaine dernière. Alors j’ai envie de dire merci Instagram, merci Bennytex et surtout merci Noueuse, on retourne « boire un café » quand tu veux.

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