
… Y’a quelqu’un ? (bruit du vent dans un couloir désert).
Allez, profitons de la bonne énergie du début d’année pour reprendre le bloguisme. Et pas avec n’importe quoi : avec ce manteau de grognard napoléonien.
« Couturières, songez que du haut de cette redingote, 25 heures de travail vous contemplent. »
Il s’agit de ce patron #104 du Burda de décembre 2012 :
… Et avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi un aparté outragé. Car je suis colère, oh que je suis colère. Voyez-vous, Burda a plusieurs sites Internet, généralement un par pays, et notamment un site américain que je fréquentais assidûment depuis dix ans. Bien que tout en anglais, il était merveilleusement achalandé. On y trouvait la plupart des modèles des magazines, parfois même avec des photos supplémentaires, le métrage, les fournitures… Et surtout, les couturières amateurs pouvaient publier leurs « projets », reliés à la fiche de leur patron d’origine. Ainsi, si je prends l’exemple de ce manteau, on pouvait consulter d’un clic les photos une dizaine de réalisations différentes du manteau. Idéal pour s’inspirer, décider d’une modification, juger d’un tombé sur une vraie personne et pas sur un mannequin taillé dans une frite.
Mais par une absurde décision éditoriale, très obscurément expliquée et annoncée quasiment sans préavis, le site a été intégralement rasé et refait en quelques jours à peine. Il est désormais sur le même modèle que le site français ; une boutique toute nulle où l’on peut retrouver la plupart des patrons pochettes et magazines, avec un moteur de recherche fantasque et un historique limité. Plus aucun contenu autre, plus de projets des internautes.
BURDA ! Depuis toujours je te défends malgré tes planches à patrons plus illisibles d’année en année et tes explications totalement imbitables ! Mais là, je suis colère, je suis colère parce que je suis trahison !!!

[Edit : suite au commentaire de Madeleine, je relaie son conseil. À savoir se déporter sur le site Burda russe, très bien garni ! Suivez les liens donnés dans son commentaire !]
… Fin de l’aparté. Voici qu’au cœur de l’hiver 2019-2020, j’ai donc cousu le manteau napoléonien de mes rêves. Plus que toutes les autres fringues, acheter un manteau dans le commerce m’est devenu impossible : c’est toujours cher, rarement de bonne qualité et je ne trouve jamais le modèle dont j’ai envie. Par ces temps de caillance, une vieille doudoune du commerce a fait l’intérim mais elle était tellement moche que j’avais vaguement peur de me faire ramasser par un camion-poubelle.
J’adore le style officier depuis toujours. Je le trouve tout à fait intemporel, et classe : des lignes droites, un esprit masculin, des coupes flatteuses, des détails élégants… Tout ce que j’aime.

J’ai respecté tous les codes classiques du genre pour celui-ci : le noir, le passepoil rouge, les boutons dorés vieillis, les pattes d’épaule passepoilées, la (fausse) fente boutonnée de manche tailleur. J’ai ajouté l’incontournable martingale qui manquait au patron.
Et puisque je passepoilais à tire-larigot, j’en ai également ajouté entre la parementure et la doublure. C’est une finition que je trouve toujours très soignée pour un manteau.

Pour celles que ça intéresse, c’est une taille 36 (pour mon 38, car je le voulais ajusté et Burda taille grand).
Le plus beau ? Ce n’est que du déstockage : le velours de laine = en stock. La soie imprimée « cravate » = en stock (depuis… pfiou….). Les boutons métalliques = en stock (et pourtant il en fallait 9 grands et 10 petits assortis ! Ils étaient dans une boîte de boutons en vrac achetée sur un vide-grenier!). J’ai juste acheté le passepoil et de l’entoilage. Je vous présente… Le Manteau A Dix Balles !
(… Oui parce que quand c’est en stock, je ne compte plus la valeur marchande du tissu. La comptabilité peut être une notion très subjective chez la couturière collectionneuse).
Burda donne à cette pièce le niveau de difficulté « trois points et demi / master piece ». Permettez-moi de prendre mon air le plus faussement modeste pour vous dire ah booon, master piece, carrémeeent ? j’ai pas trouvé ça si difficile moiiii… (OK je tends la joue pour ma gifle).

Non, pour de vrai ce n’était pas tellement difficile, c’est surtout que c’était long. En plus j’ai ajouté quelques détails, comme des doubles surpiqûres un peu partout … Les manches tailleur avec leur fausse fente, notamment, m’ont demandé pas mal de temps. Je pense depuis toujours, à ce sujet, que l’étape la plus délicate d’un vêtement, c’est de bien monter une tête de manche. Comme le dit très justement la citation : « On reconnaît la bonne couturière à sa capacité à bien soutenir une tête de manche » (moi, janvier 2020).
J’ai tenu le compte de mes heures de travail : 25h donc, dont 6 pour le décalque du patron (sur une planche aussi claire qu’un manuscrit en araméen), la découpe et l’entoilage des pièces.
25 heures, au fond, ce n’est pas énorme pour un manteau. Mais précisons qu’hormis une séance introductive de 2h en novembre, j’ai bouclé tout le boulot sur ces deux dernières semaines. Concrètement, j’ai enchaîné les sessions de couture avec la frénésie d’un cycliste dopé dans un col alpin : le soir, sur mes jours de repos… Mon mec est parti avec une autre, ma fille m’appelle Madame, je n’ai plus d’amis, le chat s’est installé chez les voisins… Mais qu’importe, j’ai cousu un p*** de beau manteau !
Et, fait rare chez moi, dès que je croise une connaissance, je cherche absolument à placer que c’est fait main, sans la moindre once de décence et d’humilité : « Hey, salut Machine, dis donc ça fait au moins six mois qu’on ne s’était pas vues ! Alors comment tu t’en sors de cette maladie orpheline très rare et mortelle qu’on t’a diagnostiquée ?… Hum passionnant, et sinon regarde ! T’as vu ce manteau que j’ai cousu ?! ».
Par contre, on ne va pas se mentir, mon prochain projet aura quatre coutures sur jetées… et c’est marre !
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