
… Hey, salut.
Prétendons simplement que cet automne n’a jamais eu lieu, d’accord ?
En vrai, entre deux rhinopharyngites, j’ai quand même cousu deux-trois trucs pas vilains que je te montrerai bientôt avec plaisir.
Mais quelle meilleure façon de rendre ce blog à la vie qu’avec un bon vieux fail des familles ?
Une simple chemisette ? Oh non. Cette fringue, c’est une superproduction à elle toute seule. Espoir, échec, coup de folie, rebondissements, trahisons, renaissance, rédemption… Je te pitche le film.
Au début de l’histoire, notre (jeune et belle) héroïne (je pensais à Natalie Portman pour tenir mon rôle vu l’évidente ressemblance entre nous) se projette dans la réalisation d’une chemise Melilot de Deer and Doe. C’est un modèle qui lui fait de l’œil depuis sa sortie, elle en aime la ligne onduleuse aux hanches, le col arrondi, les emmanchures basses…
Précisément, elle a dans son stock un métrage de ce merveilleux crêpe de coton Amandine Cha vert forêt (qui, justement, semble être à 50% au moment où j’écris cet article alors FOOOOONCE parce que sinon wallah je prends tout ce qui reste). Elle a cousu d’autres modèles Deer and Doe durant l’hiver, elle est en confiance alors elle se lance. Sans toile préalable, elle coupe dans son précieux tissu de l’amour.
Notre héroïne, jamais avare de petits détails choc, décide préalablement à l’assemblage de réaliser une broderie arc–en-ciel dans cet esprit au-dessus d’une poche plaquée – histoire d’éviter à ce beau vert profond de tomber dans la monotonie. Donc, plus de deux heures durant, telle la reine Mathilde face à sa tapisserie de Bayeux, elle brode en sept couleurs.
Mais une fois fini, l’arc-en-ciel en question s’avère très… présent. D’aucuns diraient même que, loin de la mignonnerie évoquée ci-dessus, sa taille mal calibrée lui donne un côté « gros placard sur le devant ». Bon, le cameraman était en pause déj’ et je n’ai malheureusement aucune image à te montrer.
Mais je te laisse imaginer la scène. Son devant brodé, notre héroïne un peu dubitative commence malgré tout l’assemblage : elle fait la patte de boutonnage, pique les pinces, coud la poche, assemble les épaules, pose le travail sur le mannequin, descend manger un chocolat ou dix devant la téloche avant de se coucher… Et avant de se jeter dans une bonne nuit de sommeil, fait un dernier saut dans l’atelier, tombe en arrêt devant l’ouvrage en cours (musique de suspense) et se dit : hum, en fait, non.
Et comme c’est à minuit qu’on prend toujours les meilleures décisions, elle attrape ses ciseaux sur un coup de tête et commence à faire péter tout le motif. Et là, si tu crois qu’on peut retirer une broderie constituée d’une couche de papier hydrosoluble et de 14 rangées de points chaînette sans que cela n’abîme le tissu, laisse-moi te dire que tu es autant dans le déni que moi.
Pour le coup, j’ai des photos de « l’après ».
Bien joué, Natalie.
Well. A ce stade de l’histoire, nous voici avec un devant droit qui a l’air d’avoir fait Verdun, et environ… 30cm de chute de tissu en stock. Notre héroïne, désemparée, passe en revue les options possibles : re-commander du tissu (c’est relou)… balancer le tout à la poubelle (c’est tentant)… ou alors… découdre le devant droit , et le remplacer par un nouveau, découpé dans le sens de la trame ?
La chance de notre héroïne, c’est que le bout de tissu restant est juuuuste assez large pour couper un devant de rechange dans le sens de la trame, et que le crêpe est suffisamment uniforme pour que cela ne fasse aucune différence visuelle (c’est à ça que l’on voit que c’est un film… ça manque un brin de réalisme, cette partie).
Premier obstacle : levé !
Notre persévérante Natalie se remet au boulot, rattrape le retard dû au remplacement de pièce et réalise dans la foulée deux impeccables fentes de manches avec parement.
Mais c’est une saga. Les épreuves sont nombreuses. Et une fois les manches montées, un nouvel écueil survient. Rien ne me sera donc épargné ?!! hurle notre héroïne en présentant sa face inondée de larmes à la pleine lune moqueuse.
Le nouvel écueil, c’est le tomber des manches. Un énorme faux pli se forme, partant de la tête de manche jusqu’au pli du coude :
Quand on ramène le bras vers l’avant – ce qu’on peut souvent être amené à faire dans une journée, faut admettre – une sensation d’entrave est franchement gênante. C’est grave, Docteur ? Soyez franc, n’essayez pas de m’épargner, demande notre héroïne, le visage fermé, au Dr Marjojivago, appelé en urgence au chevet de la chemise déformée (note d’intention : ce personnage pourra être joué également par Natalie, grimée).
Hum, le diagnostic, c’est certainement : carrure trop étroite (la couture des épaules part carrément en arrière), associée à une ligne d’épaule trop basse. Traitement possible : faire une toile la prochaine fois !
Rage. Désespoir. Frustration sans fin. Grosse tentation de vérifier si le crêpe de coton brûle bien dans la cheminée.
Le générique de fin va-t-il se dérouler ici, faisant de notre saga un drame bouleversant, avec comme dernier plan Natalie agenouillée dans son atelier, le chemisier moribond poussant son dernier souffle entre les bras ?
Non, ce film serait un échec commercial – et humain. Bien que son projet initial était sans hésiter celui d’une chemise à manches longues portable immédiatement, Nat’ la warrior se résout à limiter les dégâts en procédant à l’ablation des Manches de l’Échec. Cela change que dalle au fait que la carrure soit trop étroite et la ligne d’épaule trop basse, mais cela en allège les conséquences, qui impactent essentiellement le tomber de la manche.
Nouveau deus ex machina (les scénaristes ne se sont pas foulés, ici) : au moment de la coupe initiale des pièces, notre héroïne avait coupé par erreur les revers de manches courtes, elle les avait donc en sa possession depuis le début !!
Une délicate manchectomie plus tard (avec quand même des emmanchures déjà surfilées voire crantées par endroits, pour ajouter un peu de tension dramatique à ce passage), le remplacement des manches par les revers laisse apparaître une chemisette portable. Ca fait des plis par endroits, le seyant est tout sauf parfait, il va falloir attendre trois bons mois avant qu’elle ait une quelconque utilité mais elle a le mérite d’exister.
Bien sûr, il restera quelques galères mineures à Natalie avant d’atteindre la rédemption : l’ourlet tout en courbes est bien chiant à finir proprement, elle doit s’y reprendre à deux fois pour bien résorber l’embu de l’encolure au montage du col…
Mais voilà, nous y sommes. Et pour sceller sa réconciliation avec ce vêtement qui lui aura tellement pris la tête, qui n’est pas celui espéré mais qui reste potable (une importante leçon de vie pour notre héroïne mais aussi pour le public) : elle coud des petits boutons rouges, et brode, durant la scène finale, ces deux petits cœurs rouges sur le col. La boucle de la broderie est bouclée. Clap de fin.
Ami·es, spectateur·rices, puissiez-vous sortir de cette histoire en ayant retenu ces trois informations capitales :
- Faites toujours une toile quand c’est un modèle que vous n’avez jamais testé ;
- Ne vous découragez jamais ;
- A saisir : deux manches en crêpe de coton bio vert forêt, taille 36, état impeccable, très peu servi, fentes impeccables, faire offre.