
La blonde Lorelei était une nymphe germanique dont les chants mélodieux troublaient les bateliers du Rhin, et causaient leur perte. Notons cette récurrence dans toutes les mythologies du monde : a) les femmes ont rarement le beau rôle, b) il ne faut pas grand chose à ces messieurs pour oublier la blanquette de veau de Bobonne.
Cette brillante introduction sociologico-culturelle posée, Lorelei est aussi (et surtout, j’ai envie de dire) le petit nom de ce pull tricoté de mes blanches mains.

L’amour du fil ne connaissant pas de frontières, c’est assez naturellement que la couture m’a amenée vers d’autres pratiques comme le tricot, la broderie, les bijoux en perles tissées, voire le tressage de cheveux sur les plages au mois d’août.

L’amour que je porte à la couture ne connaît aucun rival sérieux, mais ces autres activités sont de bons défouloirs quand je ne peux pas coudre. En l’occurrence, j’ai commencé ce pull en janvier 2019, alors que je vivais chez mon mec, sans pièce dédiée pour coudre, la machine remisée dans les cartons du futur déménagement.
Oui, 2019, vous avez bien lu. Lointaine époque où j’avais encore des cheveux…

J’ai appris à tricoter avec ma maman, de façon classique : aiguilles droites, laine acrylique Phildar et modèles en pièces détachées que l’on assemble à la fin. Mais Internet est une chose merveilleuse qui nous a offert les lolcats, le harcèlement en ligne, les influençeuses Instagram qui ont pris leur indépendance face au subjonctif – et la généralisation du tricot circulaire en anglais.

Bien que tentée par l’abondance des modèles, j’ai mis longtemps à oser m’y confronter. Voici donc que lors de ce fameux hiver 2018-19, les mains désœuvrées et l’esprit encombré, je me suis attelée à faire deux bonnets en circulaire : l’un pour moi-même, l’autre pour mon chauve aimé. Je ne vous présente que le mien ci-dessous, car le chauve aimé, sa tête et son bonnet sont tous les trois partis travailler.
C’est le patron Lucy Hat.
J’ai alors estimé que mon niveau de compétences était désormais suffisamment élevé pour faire un pull en circulaire avec dentelle et en topdown (de haut en bas). La confiance en soi, mes ami(e)s, est une belle chose.
Me voilà donc partie, en janvier 2019, sur ce joli modèle Lorelei, qui se compose d’un empiècement en dentelle à « vaguelettes », à partir duquel on tricote ensuite l’encolure vers le haut, puis le corps et les manches vers le bas.

Comme je tricote peu, je me suis fixé le principe de n’acheter que des laines aussi éthiques que possible. Je reste traumatisée par la découverte de la pratique du mulesing et des nombreuses maltraitances infligées aux animaux dont on prend la laine. Heureusement, les alternatives et les marques éthiques se multiplient. Ce fil, c’est le Bio Balance couleur « Camel doré » de la marque danoise BC Garn – un mélange laine-coton parfait pour ce petit pull léger, bien que les irrégularités de tricot aient tendance à se remarquer davantage sur le coton. Aussi, je l’imaginais plus camel que kaki, mais tant pis.
Je suis partie comme une fusée, je me suis même inscrite au knit along (« tricotons ensemble ») proposé par la créatrice sur Ravelry, avec l’idée de finir le pull en quoi ?… un mois ou deux ? Ce n’était plus de la confiance, c’était l’équivalent de la fille qui veut participer à Top Chef parce qu’elle a réussi des œufs au plat corrects (« alors pour ma revisite de ce grand classique, je vais partir sur une espuma de blancs d’oeufs infusée au foin, que je vais relever au piment d’espelette et à la chantilly de chou-rave« ).
Et bien vous savez quoi ? Il FAUT avoir confiance. Se jeter dans le grand bain sans les brassards, c’est encore le meilleur moyen d’apprendre à nager. Ce petit pull fut un concentré d’apprentissage : de techniques, déjà (relever des mailles, tricoter torse, faire un montage provisoire…) mais aussi de langage, puisque le patron était tout en anglais. Maintenant, je knit, je purl, je make one left, je slip marker, sur le right side et aussi sur le wrong side. J’ai même fini par penser en abréviations anglophones pendant que je tricote (« bon là, je k, je k, je ssk, je m1l, je p12m, j’arrive au borm, je sm…« )

Mais la plus grande leçon, c’est qu’il faut aussi penser à noter ce que l’on fait. En effet, début mars 2019, j’avais l’empiècement, l’encolure, le haut du corps et une manche tricotés. Ça partait plutôt carrément bien, vous le concéderez. Sauf que là, nous avons enfin déménagé. J’ai installé mon atelier, j’ai rallumé la machine à coudre et… adios tricos ! La confiance, c’est bien – la constance, c’est mieux.

Il m’a fallu près de six mois pour trouver la motivation de m’y remettre. Et là, l’Alzheimer du tricot m’avait frappée de plein fouet. Je ne savais plus quelles modifications j’avais faites. Je ne savais plus quelle taille d’aiguilles j’avais utilisée !! Néanmoins, je trouve le courage, je me tape l’océan interminable de jersey du corps, je fais les côtes que je rabats une première fois, avant de réaliser que je dois faire un rabat élastique si je veux que le pull garde sa souplesse (et hop, nouvelle technique dans la poké ball), j’attaque la dernière manche en mode « cool, j’aurai fini dans 4 jours« , et là… là, les ami(e)s…

Là, je réalise qu’il y a un problème avec mon encolure. Elle s’est décalée : les rangs raccourcis qui forment l’encolure dos se retrouvent sur le côté. Sur une épaule. J’avais donc, évidemment, une totale asymétrie qui m’avait échappée jusqu’alors, malgré les douze mille essayages intermédiaires.
Techniquement, mon encolure n’a pas glissé toute seule pendant la nuit, hein. J’ai fait mon empiècement en dentelle, puis relevé et tricoté l’encolure en rangs raccourcis de façon tout à fait appropriée. Mais au moment de relever les mailles pour descendre vers le corps, j’ai placé mon marqueur de début de rang au mauvais endroit. Et pas de trois ou quatre mailles : je me suis décalée d’un quart de rang, sans sourciller.
C’est très bien quand on aime porter ses pulls avec une manche dans le dos et une manche sur le ventre, mais quand on n’habite pas les environs de Tchernobyl, ça nous arrive assez peu souvent.
J’ai donc appris, sur le finish, une ultime technique qui consiste à détricoter en tirant sur le fil selon la méthode brevetée dite « à la wanegaine », remettre les mailles ainsi libérées sur les aiguilles en priant pour n’en avoir pas trop perdues, et recommencer l’encolure en se traitant de grosse nouille.

Pour celles qui sont là pour les purs éléments techniques (pauvrettes) : sachez de surcroît que le pull a été bloqué, mais le fil étant composé à 50% de coton, la taille n’a pas varié. Et l’une des rares modifications dont je me souviens, c’est que j’ai zappé les diminutions-augmentations de la taille pour avoir un pull moins près du corps que l’original.
Voilà, ainsi s’achève ma propre légende de Lorelei. Je retiens de cette expérience que : a) j’aime vraiment beaucoup le tricot circulaire b) finir un pull est une immense fierté c) mais il faut être régulière si on veut venir à bout d’un ouvrage d) et il FAUT penser à tout noter si on a un bloc d’emmental en guise de mémoire.
Le prochain projet est déjà sur les aiguilles : on verra bien si je vous en recause avant février 2021 !

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